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Rencontres avec Léon Chestov
par Benjamin Fondane

EDITORIAL NOTES

(c) "Rencontres avec Léon Chestov", textes établis et annotés par Nathalie Baranoff et Michel Carassou, Paris, Plasma, 1982
Préface de Michel Carassou
Nous remercions Mademoiselle Tissier qui a rendu possible cette édition.


[ Dossier Fondane ]


[ Table Des Matières ]

Quarante ans après, par Michel Carassou (5)
Sur les rives de l‘Ilissus (11)
Entretiens avec Léon Chestov (41)
Index des noms cités au cours des entretiens (171)
Annexes
I. Lettre de B. Fondane à L. Chestov (175)
II. Maxime Gorki : Tolstoï et Chestov (177)
III. Alexeï Rémizov: Léon Chestov (à l‘occasion du 70e anniversaire de sa naissance) (181)
IV. Benjamin Fondane : A propos du livre de Léon Chestov : Kierkegaard et la Philosophie existentielle (183)
V. Benjamin Fondane : Chestov et la lutte contre les évidences (213)
VI. Note de Fondane à Victoria Ocampo (251)
VII. Léon Chestov, notice bio-bibliographique (255)
Note des éditeurs (259)


[ Editors' Note ]

On June 18, 1939 Benjamin Fondane gave a copie of his "unfinished" manuscript "Rencontres avec Léon Chestov" to Victoria Ocampo who published an excerpt ("Sur les Rives de l'Ilissus") in a Spanish translation in her revue SUR. After the war and Fondane's death, Geneviève Fondane [1] made two copies of the manuscript. She gave one to Boris de Schloezer who published three excerpts from it, and another to Nathalie Baranoff, Shestov's daughter, who published an excerpt in a Russian revue. Here is the list of these partial publications:

  1. « En las riberas del Iliso », Sur, Buenos Aires, no. 70, july 1940, pp. 7-49.
  2. « Sur les rives de l‘Ilissus. Fragments », Cahiers du Sud, Marseille, no. 282, 1st semester 1947, pp. 210-219.
  3. « Razgovori s Lvom Shestovym », The New Review (Novy Zhurnal), New York, no. 45, june 1956, pp. 195-206. (Russian translation from French by P. Kalinine.)
  4. « Sur les rives de l‘Ilissus », la Table ronde, no. 138, june 1959, pp. 52-66.
  5. «Rencontres avec Léon Chestov », Mercure de France, june 1964, pp. 179-212. The same text was published in préface to the French version of Shestov's "le Pouvoir des clefs", Paris, Flammarion, 1967, pp. 5-33.
  6. «Lettre de Léon Chestov à Benjamin Fondane » (9 septembre 1932) et « Première rencontre avec Léon Chestov », Non lieu, no. 2-3, 1978, pp. 46-47 and 102-103.
  7. «Lettre de Léon Chestov» (2 june 1936), in Benjamin Fondane, la Conscience malheureuse, rééd., Paris, Plasma, 1979, pp. 308-310.
Having given a copy to Victoria Ocampo, Fondane continued to work on his own copy of the manuscript but he could not finish this work due to warfare. When preparing this text for publication, we took into consideration Fondane's instructions to Victoria Ocampo [ Annex VI ] and we tried to keep our interventions to a minimum. Nevertheless we decided to eliminate a few repetitions and we interpollated into the course of the conversations (in footnotes or with conversations without date) a number of notes Fondane has placed at the end of the manuscript under the title "miscellaneous memories". We have added in footnote references to articles and books cited as well as various biographical and chronological indications. Finally we have given in annex some of the articles mentioned in the convesations, in particular the two essays by Fondane about Shestov which have not been published in book form before.

[1] Geneviève Tissier, born in Paris on Mars 29, 1904, met Fondane in 1926 at the "L'Abeille" insurance company where she worked when Fondane was hired there. They married on July 28, 1931. Shestov was a witness at their marriage. After Fondane's death in Birkenau on October 30, 1940, she took care of his posthumous publications, in particular "Baudelaire et l'expérience du gouffre" which appeared in 1947 thanks to Boris de Schloezer's friendly and critical efforts. G. Tissier gave him the manuscript on which Fondane would have liked to work further. In 1949 she left her job as a social worker and decided to follow a monastic vocation which has been in her thoughts for many years and has not escaped Fondane's attention, as his last words to her prove, when he was waiting in the Drancy stadium to be sent off to Auschwitz: "And what if I don't come back? Will you become a nun?" She joined the "Solitude", a contemplative branch of the Order of Notre-Dame of Sion. She died there in March 1954, from cancer.


[ Annexe VI ]

[ Note de Fondane à Victoria Ocampo ]

     Victoria Ocampo a raconté dans quelles circonstances Fondane lui a remis le manuscrit de ses « Rencontres avec Léon Chestov ».
     Le 18 juin 1939, à Paris, après un dîner où nous avions, comme d‘habitude, parlé de littérature et où nous avions beaucoup plaisanté, je ramenai chez lui Benjamin Fondane. Je prenais congé de lui sans soupçonner que c‘était un adieu définitif. J‘allais partir pour Londres et, de là, pour Buenos Aires. Quand le taxi s‘arrêta, Fondane me demanda d‘attendre un instant: il voulait m‘apporter un paquet pour que je lui garde. Il m ‘avait déjà parlé de cela, mais je me refusais à le prendre au sérieux, il revint au bout de quelques minutes et mit sur mes genoux une grande enveloppe bourrée de papiers et attachée avec une ficelle. Elle portait cette inscription : « Chestov. Manuscrit informe et inachevé contenant 1. les lettres que m‘a écrites Chestov; 2. mes conversations avec lui. Remis entre les mains de Victoria Ocampo pour le cas où la guerre détruirait le manuscrit auquel je travaille. En cas de guerre, donc, ce manuscrit peut être utilisé comme il lui semblera bon et, par conséquent, peut être ouvert. Jusque-là, je la prie de le conserver soigneusement. Merci. »
     Je lus ces lignes à la lumière d‘un réverbère et je restai un moment déconcertée. Puis j‘eus la réaction des gens à qui un ami vient annoncer: « Je suis très gravement malade. Je ne vois pas comment je pourrais m‘en tirer. »
     Je le grondai:
     « Quelle absurdité, Fondane! A quoi rime cette idée saugrenue! Même si il y avait une guerre, on ne la ferait pas pour vous voler vos précieuses lettres... Vraiment, votre ton tragique me surprend. Je vous le répète encore une fois : A quoi cela rime-t-il?
     — Je sais qu‘il va y avoir la guerre. Je le sais, je sens que nous ne nous reverrons plus. Excusez ces sinistres pressentiments. (Il dit ces derniers mots en riant à moitié.)
     — Il ne vous manquait plus que ça ! Alors, maintenant, vous avez des pressentiments ! Bientôt peut-être vous entendrez des voix. Mon cher Fondane, vous me faites marcher. Vous avez probablement mis des vieux journaux dans cette enveloppe. Je vous préviens que nous ne sommes pas le premier avril.
     — Plaisantez toujours. Mais j‘ai l‘impression que nous ne nous reverrons pas. Et Dieu sait ce qu‘il adviendra de moi. »
     Voilà le sens, sinon les termes exacts de notre conversation du 18 juin 1939, dans un taxi arrêté rue Monge. Je me rappelle qu‘il a répété deux fois qu‘il ne me reverrait plus. Je me rappelle que je refusai de prendre au sérieux ces prémonitions. Je traversai Paris, ce soir-là (car Fondane habitait un quartier très éloigné du mien) avec l‘enveloppe à la main. A la fois troublée et incrédule. Que pouvait-il arriver à Fondane, roumain nationalisé français? Juif, oui, mais cela n‘avait pas d‘importance quand on vivait à Paris. Alors ?... D‘autre part, l‘auteur de Rimbaud le voyou n‘avait jamais fait de politique, que je sache.
     Je mis l‘enveloppe dans ma malle. Et, quand j‘arrivai à Buenos Aires, dans un tiroir. Elle y demeura bien des années. Je l‘ai ouverte après avoir perdu tout espoir de la rendre à son propriétaire. La chose monstrueuse, inimaginable, est arrivée. Fondane avait raison.
     Outre le manuscrit, je trouvai dans l‘enveloppe une page qui m‘était adressée, où Fondane répétait ses recommandations [1]:

SUR LES RIVES DE L‘ILISSUS
Lettres et conversations de Léon Chestov
écrites à, et recueillies par Benjamin Fondane

Manuscrit contenant:
1. Mes conversations avec Chestov, selon la date;
2. Les lettres qu‘il m‘a écrites (les plus importantes) selon la date;
3. Des conversations sans dates.

     Notées de mémoire, ces conversations ont besoin d‘être mises au point. Des livres, des auteurs sont notés sans exactitude: je suis en train de vérifier maintenant les titres exacts dans la bibliothèque de Chestov. Les noms russes, qui m‘échappaient ou qui m‘étaient inconnus, ont été orthographiés à la diable. Certains textes ont été développés dans les livres parus. Il convient de vérifier les uns par les autres, et d‘indiquer les références. Ce travail, je suis en train de le faire. Quant aux lettres, il convient de les remettre en bon français.
     Je dépose toutefois ce manuscrit inachevé entre les mains de Victoria Ocampo, dans la crainte de la guerre soudaine qui me ferait abandonner mon domicile sans que je puisse sauver le manuscrit. Au cas où cela arriverait, et que mes autres copies se perdraient, aussi inachevé qu‘il soit, il vaut mieux que quelque chose demeure, même informe : c‘est le bien le plus précieux que j‘aie. Si moi et les miens avons disparu de terre, je compte sur Victoria Ocampo pour veiller à la publication de ce manuscrit. Si guerre il y a, elle peut ouvrir le paquet, voire publier ce qui bon lui plaira, et en permettre la traduction espagnole, anglaise, etc. Elle pourrait même, par les soins de la Croix-Rouge internationale (si cela existe encore) m‘envoyer à moi, ou aux miens (après recherches faites) le produit de la publication partielle ou totale. J‘en aurai besoin, bien entendu.
     Merci, Victoria, et je compte sur vous.
Écrit le 18 juin 1939

Benjamin Fondane

N.B. Faire précéder la publication — si jamais cela se fait — par mon article: Sur les rives de l‘Ilissus, qui se trouve également entre les mains de Victoria pour paraître dans Sur.

[1]. Extrait de « Benjamin Fondane », Non lieu, no. 2-3, 1978, pp. 48-51. Nous reproduisons intégralement la « page » de Fondane qui était seulement résumée dans l‘article de Victoria Ocampo.



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